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25/03/2025 | Rédacteur: Épilogue

Protection des salariés protégés VERSUS prévention du harcèlement sexuel

Si le statut protecteur des salariés investis d’un mandat syndical vise à garantir leur indépendance et à prévenir toute mesure discriminatoire, il ne saurait pour autant faire obstacle à la nécessité de protéger les autres salariés contre des comportements répréhensibles.

La jurisprudence évolue ainsi vers une appréciation plus nuancée, prenant en compte tant la défense des droits des représentants du personnel que la lutte contre les risques psychosociaux en entreprise.

 

Cette affaire en est une parfaite illustration.

À l’été 2009, un salarié avait été engagé par une association dont il avait été nommé, 7 ans plus tard, délégué syndical.

Après qu’une salariée du même établissement l’ait dénoncé à la direction de l’établissement pour comportement déplacé, à savoir des avances et gestes indécents à connotation sexuelle, le délégué syndical s’était vu notifier une mise à pied conservatoire, avant d’être convoqué à un entretien préalable à son éventuel licenciement.

Le 14 février 2017, l’inspection du travail avait toutefois refusé l’autorisation de licenciement, obligeant l’employeur à déférer sa décision au Tribunal administratif, tout en maintenant le salarié en mise à pied, par mesure de précaution.

Un mois plus tard, le salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail, considérant qu’il aurait dû être réintégré dans son emploi.

Chassé-croisé de décisions des deux Ordres…

Le 20 septembre 2017, la juridiction administrative a annulé la décision de l’inspecteur du travail.

Les juridictions de l’ordre judicaire (le Conseil de prud’hommes puis la Cour d’appel) se sont, pour leur part, prononcées en 2023 en faveur du salarié protégé.

La Cour d’appel avait certes retenu que plusieurs salariées avaient dénoncé des comportements inappropriés de la part du délégué syndical, tels que des gestes insistants, des contacts physiques non sollicités où des remarques révélant un intérêt particulier.

Toutefois, pour retenir que la prise d’acte produisait les effets d’un licenciement nul (et allouer au salarié une somme totale de l’ordre de 70.000 € !), la Cour d’appel avait estimé que ces éléments ne caractérisaient pas une impossibilité absolue de réintégration et que, par conséquent, le refus de réintégration opposé par l’employeur, malgré la décision de l’administration du travail, constituait une violation du statut protecteur du salarié, justifiant la rupture du contrat de travail.

Une position non partagée par la Cour de cassation qui casse l’arrêt pour défaut de base légale :
« En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants et sans rechercher si l’impossibilité de réintégrer le salarié ne résultait pas d’un risque de harcèlement sexuel que l’employeur était tenu de prévenir, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. »

Certes, en vertu de l’article L 2411-1, un salarié protégé, mis à pied à titre conservatoire et dont le licenciement a été refusé par l’administration du travail, doit être réintégré dans son emploi ou un emploi équivalent, sauf impossibilité avérée.

Mais l’employeur doit, dans le même temps, dans le cadre de son obligation de sécurité laquelle inclut la prévention du harcèlement sexuel, prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir le harcèlement sexuel, y mettre fin et le sanctionner.

Par cet arrêt, la Cour de cassation réaffirme la nécessaire conciliation entre la protection des représentants du personnel et la lutte contre le harcèlement sexuel en entreprise, en rappelant que l’obligation de réintégration d’un salarié protégé après un refus de licenciement par l’administration n’est pas absolue et doit être appréciée au regard de l’impératif de prévention du harcèlement sexuel.

Si la réintégration d’un salarié protégé présente un risque avéré de harcèlement pour d’autres salariés, l’employeur peut valablement justifier son impossibilité de procéder à cette réintégration.

Référence de l’arrêt : Cass. soc du 8 janvier 2025, n°23-12.574

Cass. soc du 8 janvier 2025